vendredi 23 mars 2012

PARTIR POUR LA RAMENER

PARTIR POUR LA RAMENER

 

 

C'est la phrase invisible tatouée sur l'arbre du voyageur.


C'est la devise secrète de quiconque prend la route.


De Christophe Colomb à Jeannot le sextouriste, du jésuite

 

avec sa Mission au reporter avec ses frais de mission, du

 

réfugié-sans-papiers au touriste-terre-de-contraste, du 

 

passeur de came au camé du Caméscope, tous nous 

 

partons pour la ramener.                                                                  

 

    Ramener quoi ? Des Nouveaux Mondes, des boules

 

neigeuses de La Havane, des bons sauvages dans des cages,

 

des diapositives de Trouville, des Tombeaux du Christ ou 

 

des pacotilles de duty-free. Ramener de l'encens et de la

 

myrrhe. Des fables surtout, des sacs de fables. Des 

 

mensonges et des songes. Des songes creux de clichés 

 

attendus, de reportages comme prévu, d'émotions 

 

conformes et convenues. Mais aussi, parfois, des rêveries

 

pas ordinaires qui prennent leur temps à se développer en 

 

vous, comme une photo ou une maladie. Le voyage, c'est 

 

des choses qui existent mais qu'on invente. Des "là-bas" qui 

 

n'existent que si j'y suis. On ne voyage pas si on ne rêve 

 

pas le voyage qu'on fait. Je ne parle pas du rêve qui 

 

endort, mais de celui qui réveille,enrage, à la gorge, 

 

l'hirsute, le traviole, le pas racontable, le si beau qu'on 

 

arrête de vieillir. Imaginaire, non pas au sens d'image, 

 

mais au sens rupture, d'invention, de résistance.

 

De ligne Imaginot. De première ligne. S'acharner ensuite

 

à mettre ces rêves en chair, en mot, les mettre en 

 

forme, en son, en soi, en tous, voilà une aventure 

 

périlleuse et désespérée. En passant la lumière, tout

 

peut s'effriter ; le plus souvent, on évente au lieu 

 

d'inventer.                

 

Il n'y a plus qu'à repartir.

 

Pour la ramener.

Juillet 1998